21.02.2022

« Rien ne nous empêchera de gagner demain »

Rivo Rakotovao, coordonnateur national du parti HVM, partage sans retenue les coulisses de l’opposition.

Rivo Rakotovao, coordonnateur national du parti Hery vaovao ho an’i Madagasikara (HVM), partage sans retenue les coulisses de l’opposition ainsi que ses perspectives pour les prochaines années.

Vous avez publiquement annoncé votre positionnement dans l’opposition. Comment assumez-vous votre rôle ?

Rivo Rakotovao (R.R.) : Suite à sa défaite en 2018, le parti HVM a affirmé sa neutralité et n’a pas donné de consignes de vote pour le deuxième tour. Juste après la proclamation des résultats officiels, il est pour lui évident de choisir son positionnement. L’essence d’un parti politique est de gouverner le pays. Puisque l’idéologie et le mode de gouvernance du régime en place diffèrent des nôtres, nous avons rejoint le camp de l’opposition. Le HVM a été le premier parti à présenter publiquement un mémorandum pour dénoncer les lacunes et les irrégularités perpétrées par le régime actuel. Ce n’est pas pour le plaisir de s’exprimer, mais surtout pour tracer l’avenir du pays remis entre les mains des gouvernants. Le parti sort de son silence quand le contexte est opportun.

En tant que parti de l’opposition, vous êtes plutôt « calme ». Pour quelles raisons ?

R.R. : Cela dépend de la grille de lecture. La forme la plus vulgaire – sinon la plus extrême – de l’opposition est la manifestation de rue avec ses ingrédients classiques comme le vandalisme, l’appel à la désobéissance civile, la violence, les affrontements avec les forces de défense et de sécurité. Le plus souvent, une opposition forte est associée à ces pratiques. Ces dernières ne sont pas dans notre culture politique et nous n’allons jamais inciter les gens à le faire. Suite à ces pratiques, le pays a vécu suffisamment d’amères expériences lors des différentes crises. Pour le HVM, ce sont les conséquences de la restriction de l’espace de dialogue et d’écoute entre le régime et l’opposition, les acteurs économiques et sociaux, les églises et la société civile. 

Donc, optez-vous pour une opposition « de salon » ?

R.R. : Certains peuvent penser cela. Je réitère toutefois notre refus d’inciter les gens à la violence. Il ne faut pas isoler les faits de son contexte. L’opposition n’est pas entendue puisque le pouvoir s’efforce de contrôler directement ou indirectement les médias. La plupart des patrons de presse à Madagascar sont membres de l’Exécutif ou du parlement. Le verrouillage des médias publics n’est plus à démontrer. Par ailleurs, le rayon de diffusion des chaînes privées de l’opposition a été réduit. Cette situation fragilise la démocratie. Nous avons l’impression de prêcher dans le désert.  Néanmoins, le parti est très actif dans la région Sava, par exemple. Les citoyens doutent de la capacité du régime actuel à réaliser ses promesses. Nous rencontrons plusieurs acteurs. Je ne sais pas si c’est la définition d’une opposition de “salon” ou non. Le rôle des partis politiques de l’opposition consiste à dénoncer les agissements de ceux qui sont au pouvoir, surtout lorsque des déviances à l’intérêt public sont constatées, comme la partialité et le favoritisme, ou quand les gouvernants sont tentés de mentir au peuple.

Vous dites que votre formation est très active. Pourquoi n’a-t-elle pas participé aux élections depuis 2019 ?

R.R. : Deux raisons expliquent cette absence. Il ne faut pas oublier que les législatives se sont tenues quelques mois après la présidentielle. Le parti a pris le temps de réfléchir vu qu’une bonne partie de ses adhérents n’a pas d’expériences en tant qu’opposants politiques. À partir de cet état des lieux, une stratégie définissant notre positionnement a été établie et nous avons noué des alliances. Il a fallu du temps pour mettre de l’ordre en interne et pour réfléchir à la reconquête du pouvoir. Ainsi, nous n’avons pas participé aux communales et, évidemment, nous avons boycotté les sénatoriales à cause des irrégularités constatées. Le collège électoral pour les sénatoriales a été incomplet. Nous l’avons dénoncé. Même jusqu’à aujourd’hui, certaines communes n’ont pas encore de maire. Nous ne voulons pas être complices du régime actuel par souci de cohérence. En tout cas, le HVM participera sûrement aux prochaines élections.

Qui dit élection dit base électorale. Le HVM a-t-il des militants actifs ?

R.R. : Oui, nous en avons. En tant que premier responsable du parti à Madagascar, je conçois que l’effectif a un peu diminué, mais il ne faut pas oublier le contexte : des militants, par peur de représailles, se font discrets. Les “cravates bleues” ont été rangées, mais le cœur des gens ne peut être masqué.  

À la suite de la défaite au premier tour de l’ancien Président, une partie de vos partisans a très vite retourné sa veste. Quelle est votre stratégie pour les rameuter ?

R.R. : Le parti opte pour la politique de la porte ouverte. Il y avait des déçus, certains sont peut-être en colère, d’autres ont tout bêtement fait des erreurs… Il se pourrait même que le parti ait aussi eu tort de faire confiance à ces personnes. Toutefois, nous ne fermons pas la porte. Il y a alors deux possibilités : d’une part, si certains se rendent compte de leur errance, nous allons les accueillir. De l’autre, nous effectuons des démarches envers ceux qui ont pris de la distance avec le parti pour diverses raisons. La défaite d’hier ne nous empêchera pas de gagner demain.

Vous avez évoqué les alliances à nouer. Comment s’organise l’opposition actuellement ? Est-elle solidaire ou avance-t-elle en ordre dispersé ? Pensez-vous qu’elle puisse présenter un candidat unique pour la présidentielle ?

R.R. : Le mieux est l’ennemi du bien. Le HVM a rejoint le Rodoben’ny mpanohitra ho an’ny demokrasia eto Madagasikara (RMDM) et la plateforme Panorama. Des discussions sont également menées avec d’autres formations. Avoir un leader, une seule voix et un candidat unique peut être à la fois une situation rêvée comme un cauchemar. Il y aura évidemment des dissensions si on gagne les élections, car, rappelons-le, nous ne sommes pas animés des mêmes valeurs. Les événements de 2018 témoignent de cette vérité générale. Le parti Tiako i Madagasikara (Tim) et le Miaraka amin’i Prezidà Andry Rajoelina (Mapar) ont créé une coalition de circonstance et nous avons vu que les deux formations politiques ont eu chacune leur propre candidat. Pour moi, s’abriter derrière une seule personne n’est pas un bon objectif. Si un tel scénario se présente, nous allons peser le pour et le contre avant de nous positionner. 

Il n’y aura pas de candidat unique alors ?

R.R. : Le HVM aura son candidat selon ses possibilités pour les élections à venir. Ce n’est pas le parti le plus puissant, mais d’autres formations politiques peuvent renforcer ses rangs.

Finalement, qu’est-ce qui vous unit ?

R.R. : Le HVM s’allie avec ceux qui s’opposent au régime actuel, tout en respectant le positionnement de chacun. Chaque parti politique garde son autonomie, bien qu’une certaine flexibilité soit aussi nécessaire. Quand il y aura 30% ou 40% d’idées communes, le parti est prêt à s’allier. En deçà de ce seuil, je doute que cela aboutisse à quoi que ce soit. Chacun a ses propres objectifs. Pour certains, le but est de se frayer un chemin pour rejoindre le gouvernement. Pour d’autres, comme le HVM, il s’agit de dénoncer les irrégularités et les abus. Malgré les divergences, nous n’excluons personne. 

Les dirigeants actuels vous ont mené la vie dure lorsque vous étiez au pouvoir. Actuellement, les rôles se sont inversés, faites-vous le poids ?

R.R. : Il est évident qu’il y a une démocratie de façade. Les dirigeants instrumentalisent la justice pour éliminer leurs adversaires politiques. Ils n’hésitent pas à incarcérer pour atteinte à la sûreté de l’État ceux qui osent se dresser contre eux. Prenons le cas de l’ancien ministre Rolly Mercia (Harry Laurent Rahajason, NDLR). Le parti HVM est contre l’impunité, mais cette situation est regrettable. Des enquêtes sont menées par-ci par-là. Cependant, il est étonnant que les sujets comme l’affaire des doublons évoquée par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), les suspicions de détournement de fonds au sein du ministère de la Santé publique passent sous silence. Ceux qui osent dénoncer sont victimes d’intimidation et d’emprisonnement. Voilà pourquoi les citoyens se taisent. Notre rôle est de dénoncer. À cela s’ajoute l’intervention régulière de différents acteurs à leur niveau, à l’instar de la déclaration du Conseil œcuménique des Églises chrétiennes à Madagascar (FFKM) que nous apprécions. Nous avons de véritables raiamandreny conscients de la souffrance du peuple et ayant l’audace de parler. Il en est de même pour la Conférence épiscopale des évêques, la société civile et les groupements économiques qui s’expriment à leur manière. Cela n’exclut pas de féliciter les bonnes décisions prises par le gouvernement.

Les actions de la société civile sont argumentées, vérifiées, documentées et chiffrées, par exemple lors de l’examen du projet de Loi de finances. Comment expliquez-vous le fait que la société civile soit mieux structurée dans sa démarche que les partis politiques dans l’opposition ?

R.R. : Le parti HVM n’a aucun problème à faire cela, chacun à son rôle. Les arguments de la société civile sont différents de ceux des partis politiques lorsque nous parlons, par exemple, de gouvernance. Nous avons dans nos rangs un ancien président de la République, d’anciens parlementaires, d’anciens ministres et d’autres compétences. Nous discutons de ces sujets en interne. L’angle d’attaque nous différencie de la société civile. Nous saisissons ces questions dans sa globalité. Par exemple, sur quelle base les autorités prévoient-elles un taux de croissance de 5% pour 2022 alors que nous sommes actuellement à -7% ? Sur quels indicateurs ? Avec quel plan d’action ? D’autant plus que nous n’avons même aucun plan quinquennal. Nous sommes une force vive de la Nation. Nous avons les compétences pour faire des analyses et dresser un bilan. Personnellement, je dispose de fiches pour faire cet exercice afin de nourrir mes arguments au moment opportun. Nous, nous faisons de la politique ! Si nous nous perdons dans les détails, nous n’aurons pas d’auditoire. Par contre, si on nous sollicite pour en discuter dans les débats contradictoires, nous sommes prêts à relever le défi. Les questions d’ordre général nous intéressent comme la mise en place du fonds souverain, ces lignes de crédits conséquents sans destination dans la Loi de finances. Nous dénonçons ces abus et l’opacité du budget, mais n’entrons pas dans les détails. Au moins, dans cette situation, il y a une distribution de tâches. Sur le terrain, l’intérêt du public porte sur des sujets qui le concernent : la baisse du prix de la vanille, la persistance de l’insécurité, les problèmes des bacheliers qui n’ont pas pu entrer à l’Université depuis deux ans…

Les organes de gestion des élections ont été renouvelés. Quel est votre niveau de confiance à ces institutions ?

R.R. : Le système électoral est boiteux. À cela s’ajoute la problématique des profils des membres de ces institutions. Nous assistons à l’étatisation de ces organes, pour ne citer que le cas du représentant de l’Ordre des journalistes de Madagascar (OJM). Des partenaires techniques et financiers ont consulté le parti concernant la fiabilité du renouvellement du processus électoral. Nous n’avons pas hésité à signaler que des ajustements sont nécessaires pour éviter une crise post-électorale. Les faits d’armes de la Haute cour constitutionnelle (HCC) à travers sa première décision sont un signal fort pour l’opposition. Le président sortant de la Ceni a lavé le linge sale de cet organe en public lors de son discours de passation. En 2018, la réforme de la loi électorale issue d’un long processus a été réduite à néant à cause de la contestation de l’opposition de l’époque. Nous avons essayé de limiter le plafonnement des fonds électoraux pour une égalité des chances. Si rien ne se fait, nous serons témoins d’un simulacre d’élection, au détriment de l’intérêt supérieur de la Nation.

Quels enseignements sont à tirer ?

R.R. : Le monde politique est cruel, opportuniste, intéressé, mais intéressant. Impossible de revenir en arrière. Nous avons fait des concessions en 2018 pour éviter les affrontements. Actuellement, ces acquis démocratiques, l’égalité devant la loi… tendent à disparaître. Tous les indicateurs sociaux, économiques et politiques virent au rouge à cause de la mauvaise gouvernance. La pandémie de la Covid-19 a tout perturbé. Il ne faut cependant pas oublier que Madagascar a bénéficié de près d’un milliard de dollars de financement. Toutefois, tout est à refaire. On nous a reproché d’être faibles et d’avoir été trop indulgents. Pourtant, nous nous sommes tenus à nos principes, celui de reconnaître la divergence d’opinions, tout en respectant la loi. Certes, nous avons eu des faiblesses, mais que faut-il faire si une institution comme la Haute cour constitutionnelle (HCC) viole la loi ? En tant que président du Sénat, j’avais exposé la situation de la nomination des gouverneurs par rapport aux textes en vigueur et nous connaissons tous les réponses d’Ambohidahy. Ce sont de mauvais exemples pour le pays. 

L'opposition: Le grand vide.

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