La société civile s’intercale dans la relation entre gouvernants, opposition et citoyens. Si d’aucuns l’accusent de jouer le jeu de l’opposition, elle défend fermement son rôle dans la société. Analyse.
Aux alentours du mois d’octobre et de novembre, c’est à un énième jeu du chat et de la souris auxquels jouent l’administration, à travers le ministère de l’Économie et des Finances (Mef) et le Collectif des citoyens et des organisations citoyennes (CCOC). 2021 n’a pas dérogé à la règle. Devant le retard du dépôt et de la publication dans les délais légaux du Projet de Loi de finances (PLF), cette organisation de la société civile est, comme d’habitude, montée au créneau. « Depuis l’actuel pouvoir, le projet de Loi de finances n’a jamais été déposé à temps. Nous interpellons les responsables au niveau du gouvernement à trouver des solutions pérennes pour que le dépôt du PLF ne soit plus un sujet de tension récurrente », a martelé le CCOC, avant que le document ne soit rendu public et que l’organisation réalise une séance marathon pour décortiquer son contenu avec les recommandations par le biais de ses spécialistes, rompus à l’exercice.
Les tensions récurrentes entre l’Administration et la société civile portent régulièrement sur l’accès à l’information, l’opacité de certaines opérations et, récemment, sur le statut et le sort des lanceurs d’alerte. En quelques années, la société civile malgache a occupé davantage d’espace dans les débats publics et a érigé en héros certaines personnalités. Elle s’est aussi emparée de sujets de société aussi vastes qu’éclectiques. « Pour les uns, le concept (de société civile) est dépourvu de toute pertinence dans la mesure où l’État postcolonial néo-patrimonial n’est pas suffisamment institutionnalisé et émancipé de la société – les solidarités verticales de type clientéliste l’emportant sur les solidarités horizontales –, pour qu’en retour se constitue une société civile “contre-hégémonique” comme ce fut le cas historiquement en Occident ».
La société civile malgache se caractérise par sa grande diversité, par sa vitalité et par sa propension à appuyer là où ça fait mal dans la vie de la Nation. De là à dire qu’elle se substitue à l’opposition, rien n’est moins sûr. « Les rôles de la société civile peuvent se résumer en cinq points : sensibiliser et conscientiser sur les problèmes sociaux, plaider en faveur du changement, renforcer les capacités des communautés locales pour leur permettre de développer des programmes qui correspondent à leurs besoins, fournir des informations pour les citoyens et les dirigeants, suivre les politiques et l’action publique et favoriser la redevabilité », détaille Tsimihipa Andriamazavarivo, coordinateur de l’ONG Tolotsoa.
La société civile veille souvent au grain quand des sujets de société ou d’actualité agitent la société, par exemple, la gestion du fonds Covid. Mais elle vient également en appui quand les politiques avancent sur des thématiques délicates dont l’espace public parle peu, mais qui sont de véritables problèmes de société. La proposition de loi sur l’Interruption thérapeutique de grossesse (ITG), portée par la députée indépendante élue à Tsihombe, Masy Goulamaly, et qui a mobilisé de nombreuses Organisations de la société civile (OSC), en est une parfaite illustration. « La société civile constitue le socle de la demande politique : les gilets jaunes, le Printemps arabe, etc. », avance notre interlocuteur. Elle est un garde-fou nécessaire, reconnaît la classe politique. « Quel que soit le pouvoir en place, elle apporte ses critiques et ses observations dans l’intérêt du plus grand nombre », glisse Fetison Rakoto Andrianirina, président du parti Roso ho amin’ny demokrasia sosialy (RDS) (voir interview par ailleurs).
Rivo Rakotovao, président du Hery vaovao ho an’i Madagasikara (HVM), abonde dans ce sens. « Les arguments de la société civile sont différents de ceux des partis politiques. Par exemple, lorsque nous parlons de gouvernance, l’angle d’attaque nous différencie. Nous saisissons les questions dans leur globalité. Nous avons dans nos rangs un ancien président de la République, d’anciens parlementaires, d’anciens ministres et d’autres compétences pour parler en détail de sujets précis », explique l’ancien président du Sénat. « La société civile englobe tous ceux qui ne font pas partie de l’appareil étatique. Ce sont, à l’exclusion des partis politiques, les citoyens, les associations formelles ou non, les groupements, les syndicats et les Organisations non gouvernementales (ONG) qui défendent surtout des valeurs et/ou des intérêts collectifs de personnes physiques ou morales qui sont affectés, qu’ils le veuillent ou pas, par les politiques publiques conduites par l’État », note le coordinateur de l’ONG Tolotsoa.
Cependant, la propension de la société civile à interpeller et à le faire de manière très audible ne plait pas forcément à tout le monde, notamment les politiques, d’où l’amalgame qui peut survenir. Ces prises de position des OSC « énervent » la classe politique qui n’hésite pas à les critiquer de faire le jeu de l’opposition. « Des raccourcis (peuvent) être faits entre la société civile et les partis politiques selon la définition que l’on donne à l’un et à l’autre. À mon sens, l’opposition est d’abord et surtout politique et idéologique, juge notre interlocuteur. Par définition, les partis politiques, à la différence des OSC, présentent des candidats aux différentes élections avec l’objectif de conduire les affaires publiques selon leur idéologie. Le débat démocratique qui a lieu dans les différents hémicycles devrait en théorie résulter des différences idéologiques ». Un point de vue que partage Fetison Rakoto Andrianirina. « Elle agit comme des groupes de pression pour influencer les politiques gouvernementales en faveur de ce qu’elle est censée représenter : la société », lance le président du RDS.
Cependant, la bascule de certains membres de la société civile vers les rives politiques a également contribué à alimenter l’incompréhension. « L’embrigadement progressif des OSC par l’État et par les bailleurs de fonds (ne parle-t-on pas de société civile “de la Banque mondiale, du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) ou de l’Union européenne” ?) entretient le comportement d’assisté et le manque d’autonomie et de créativité. Agir au sein de la société civile tend alors à devenir un business au service des financeurs et du pouvoir »3, avait fustigé l’observatoire de la vie publique (Sefafi), dont de nombreux « ex » ont fait le grand saut. Le taux de participation famélique aux différentes élections est en partie expliqué par les différentes politiques menées au niveau étatique et leurs échecs. L’érosion de la participation citoyenne suscite également des réactions actives de la société civile qui pourrait détenir les leviers pour mobiliser la population aux prochains scrutins. « Aujourd’hui, notre société évolue et les citoyens peuvent de plus en plus s’exprimer directement en dehors des canaux “traditionnels”. Là où nous assistions à des dialogues entre les gouvernements et les partis d’oppositions, les citoyens et l’opinion publique viennent directement s’en prendre aux gouvernants et à leurs opposants en demandant de plus en plus de comptes et d’évaluations. Ceci est en grande partie dû à la révolution numérique, les rapports entre dirigeants et dirigés changent et évoluent », soutient Tsimihipa Andriamazavarivo. En attendant, le rapport entre administration et société civile risque de ne changer que très peu. Mais c’est peut-être mieux ainsi, pour un vrai équilibre des pouvoirs…
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La société civile s’intercale dans la relation entre gouvernants, opposition et citoyens. Elle défend fermement son rôle dans la société. Analyse.
Quels seraient les rôles de la société civile sur les échiquiers social et politique ? Réponses de Tsimihipa Andriamazavarivo.
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