Une presse sous tutelle
Le petit microcosme de la presse malgache vit un drôle d’épisode. Le divorce de certains de ses pensionnaires a été officiellement consommé après l’élection de l’Ordre des journalistes de Madagascar (OJM). Une équipe que les journalistes membres de la cellule de crise considèrent comme étant à la solde du ministère de la Communication et de la Culture (MCC), donc au service de l’État. Dans les deux cas, les deux entités campent sur leur camp, créant ainsi une ambiance délétère au sein de la profession, symbole d’un mal-être profond.
Une presse responsable
Fetra Rakotondrasoa, député élu à Miarinarivo sous la couleur de Isika rehetra miaraka amin’i Andry Rajoelina (IRD), et ancien journaliste et président de la commission de la communication, de l’information et des relations avec les institutions au sein de l’Assemblée nationale, souligne qu’il est dans le devoir du MCC de s’assurer du respect de la loi pour que le métier du journalisme ne rime pas avec anarchie. « Il y a effectivement une poignée de journalistes qui s’opposent à l’élection des nouveaux membres de l’ordre, car ils sont proches de l’ancien bureau et veulent encore jouir des avantages que leurs postes leur ont octroyés », précise-t-il. Le Sénat, soucieux d’instaurer une réelle décentralisation, a voulu que chaque région ait son représentant dans l’ordre.
« Nous savons pertinemment que l’ordre ne dispose pas d’un budget astronomique. Ce qui contraint à limiter le déplacement des membres du bureau. S’il n’y en a qu’un par province, comment peuvent-ils protéger convenablement leur pair ? On recense actuellement 1 500 journalistes », martèle Fetra Rakotondrasoa. Pour lui, la composition du bureau de l’OJM sera toujours sujette à polémique, qu’importe ses membres. « La presse ne devrait pas jouer le rôle de l’opposition, mais de balise à travers la diffusion d’informations fiables et vérifiées », tacle le député élu à Miarinarivo. À en croire l’élu, les journalistes devraient être moins acteurs dans le domaine de la politique et davantage se concentrer dans l’amélioration de leurs conditions et la qualité de leur travail. « Nous devons tous œuvrer pour l’instauration d’une presse responsable », conclut-il.
Amour-haine
Pendant que les proches du pouvoir tiennent un discours sur la restructuration et la réforme de la presse, les membres de la cellule de crise préfèrent appuyer sur la notion d’une liberté totale. Joël Ralaivohita, journaliste membre de la cellule, souligne un sentiment d’inachevé dans sa lutte pour la liberté de la presse. « Au cours des deux dernières décennies, je peux affirmer sans ambages que la relation entre cette presse – jalouse de sa liberté – et le ministère de tutelle a généralement été conflictuelle », se remémore-t-il. Un rapport amour-haine a toujours existé entre l’organe de tutelle et le journalisme, souvent épris d’une liberté totale.
Si Lalatiana Andriatongarivo, ministre de la Communication et de la Culture, est le porte-parole du gouvernement, et que son ministère gère l’organisation des médias publics et privés à Madagascar, cette situation est habituellement perçue d’un mauvais œil par les professionnels de la presse. Et cette récente crise n’a fait que ranimer le débat sur l’une des missions du MCC confirmée par le décret n°2020-080, en fixant ses attributions ainsi que l’organisation générale « en matière de communication : (…) promouvoir et réguler les secteurs de l’information et de la communication sur le territoire national ». Toavina Ralambomahay, conseiller municipal au sein de la Commune urbaine d’Antananarivo (CUA) et journaliste, explique ce litige entre le MCC et les journalistes membres de la cellule de crise par le prisme anthropologique. « Le caractère du Malgache est de suivre un ordre hiérarchique. Notre société a ce besoin d’être chapeautée par le puissant ou de chapeauter celui que l’on désigne comme étant le “petit” », fait-il remarquer.
Attentes
Au moment où les médias revêtent plusieurs formes et où les citoyens se substituent parfois au rôle des journalistes, un ministère de la Communication est-il toujours utile et d’actualité ? Pour Mamelasoa Ramiarinarivo, executive manager de l’Organisation non gouvernementale (ONG) Ilontsera, le débat est ouvert, mais un ministère de la Communication peut jouer d’autres rôles. « Un ministère de la Communication est utile, mais il devrait jouer d’autres fonctions, en étant très scrupuleux sur l’éthique politique », souligne-t-il (voir son interview par ailleurs)1. Le principal argument de ceux qui souhaitent rayer le MCC de la carte est qu’il est perçu comme un organe liberticide exerçant une tutelle sur les médias et notamment sur les organes publics. Le ministère est en effet responsable de l’Office de la radio et de la télévision publique de Madagascar (ORTM). « Les journalistes dans ces établissements sont sujets à des pressions de la part de la ministre qui les oriente comme bon lui semble », témoigne un journaliste. « Le ministère de la Communication devrait être une institution qui adopte une vision égalitaire et impartiale, travaillant pour tous les citoyens », détaille Mamelasoa Ramiarinarivo.
Joël Ralaivohita regrette les « rendez-vous » manqués avec l’histoire pour « réformer » le secteur. « Depuis l’année 2000, un projet de texte a circulé, car tous les acteurs concernés étaient conscients que la Loi n°90-031 du 21 décembre 1990 sur la communication et l’ordonnance n° 92-039 du 14 septembre 1992 sur la communication audiovisuelle n’étaient plus adaptées aux réalités et aux attentes de tout un chacun. Le projet a été, à l’époque, abandonné au fil des ans pour divergence de points de vue », raconte-t-il. Après moult péripéties, la Loi sur la communication médiatisée a été adoptée, même avec les amendements, elle a fait des mécontents. « Mais la Loi n°2020-006 portant modification de certaines dispositions de la loi de 2016, n’a pas vraiment tout réglé. Elle a, au contraire, débouché sur un nouveau bras de fer », regrette le journaliste.
Leviers
Le panel réuni lors de la mise à jour du Baromètre des médias africains pour Madagascar note tout de même une évolution positive induite par la Loi sur la communication médiatisée. Malgré les imperfections, « (elle) répond, en partie, aux revendications des journalistes et des professionnels de la communication au moment de son adoption en 2016. La dépénalisation des peines privatives de liberté (article 20 nouveau) est ainsi un acquis fondamental, même si les amendes en vigueur sont excessives », souligne-t-il.
L’un des leviers qui pourraient permettre de régler certaines problématiques et surtout d’améliorer l’épineuse question de la condition de vie des journalistes est l’institutionnalisation d’un syndicat de journalistes. « La mise en place d’un syndicat de journalistes fort et consensuel qui permettra de faire évoluer le statut du professionnel de la presse et renforcera le droit à la liberté d’expression. En conséquence, l’adoption d’une convention collective à travers un dialogue social avec les employeurs et le gouvernement pourra définir les statuts et les conditions des acteurs des médias », argumentent les panélistes du Baromètre des médias africains3. Mais là encore, les avis divergent et le processus est au point mort.
L'opposition: Le grand vide.
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