Dans le Sud une guerre fait s’affronter trois camps : les Forces de défense et de sécurité (FDS), la population et les dahalo. Focus sur ce conflit continuel.
Dans le Sud une drôle de guerre qui dure depuis des années fait s’affronter trois camps : les Forces de défense et de sécurité (FDS), la population et les dahalo. Focus sur ce conflit continuel qui s’enlise et qui revêt des caractères multidimensionnels. Dans cette région, les vols de bœufs représentent environ 70% des délits. Entre 2013 et 2016, 197 cas ont été recensés à Androy, comptabilisant plus de 9 300 bœufs volés. De telles razzias ne peuvent pas passer inaperçues, dans un pays où environ 6,5 millions zébus ont été recensés en 2016 et où le zébu représente souvent la richesse d’une famille.
Entre 2013 et 2018, près de 4 000 malgaches ont perdu la vie à cause d’actes de banditisme3 : souvent, des villageois qui tentaient de s’opposer aux voleurs de zébus, mais aussi des gendarmes pris en embuscade. Les dahalo sont au cœur des crispations et les acteurs de ces délits qui sont souvent à la une de la presse nationale. À l’origine, le dahalo, n’était qu’un valeureux adolescent désireux de gagner le respect de sa communauté en volant un zébu, un animal qui a une place sacrée dans la société. Cet acte était un rite de passage à l’âge adulte. Il faisait certes des malheureux, mais il répondait à une pratique ancestrale et à un certain code d’honneur. De folklore, le phénomène est devenu un acte de banditisme. Les dahalo ne se limitent plus au vol de bœufs mais raflent tout ce qu’ils peuvent emporter dans les villages qu’ils attaquent sans distinction de l’heure, en commettant parfois des exactions. « Les groupes les plus puissants arrivent à fournir des fusils d’assaut à tous leurs membres. Ils escortent des troupeaux en plein jour sur plusieurs centaines de kilomètres et les exportent vers le nord. Ils prennent en otage des civils et tendent des embuscades aux forces de l’ordre. Ils n’ont même plus peur de tuer », raconte un dahalo incarcéré que nous avons pu rencontrer.
Des bandes se sont organisées pour procéder à des vols en masse. Mais elles répondent aussi forcement à des « demandes », qui peuvent aller de simples villageois jaloux, à des personnalités… politiques. Les dahalo bénéficient de complicités parmi les populations, dans l’Administration et même dans les rangs des forces armées. « Le vol de zébus est un phénomène cyclique qui revient à chaque fois que l’État est défaillant », souligne à cet effet le professeur Henri Rasamoelina. La crise politique, la paupérisation et la corruption qui en découlent, entrainent la faillite de l’État. Ce sont autant d’éléments qui ont permis la radicalisation des dahalo. Leur recrudescence revêt un caractère multi-dimensionnel, bien que les raisons poussant les membres de la communauté à intégrer le rang de ces mafieux soient divergentes, eu égard aux intérêts mis en jeux et aux acteurs qui sont impliqués dans ce type de business. Des missions préventives comme les patrouilles ou répressives (les missions de bouclage et de poursuite qui visent à rattraper les bandits ou à anticiper le trajet des dahalo) sont usuellement menées par les forces de défense et de sécurité. Selon le témoignage des gendarmes ayant déjà affronté les dahalo, souvent, leur effectif n’atteignait même pas le dixième de celui de leur adversaire, ce qui résulte automatiquement en un échec de la mission.
Pour le lieutenant-colonel Bernard Randriamamonjy, à la tête du commandement du groupement Ambovombe Androy, la situation s’est améliorée depuis son arrivée sur terrain en mars 2019. « Une baisse remarquable de 90% des attaques de dahalo est constatée », nous partage-t-il. Depuis plus de deux décennies, plusieurs actions de sécurisation rurale d’envergure se sont succédé sans qu’elles n’enrayent la dynamique de l’insécurité dans le Sud : l’opération Vahoro d’octobre à décembre 2002, Tandroka de septembre à décembre 2012 (ayant supposément tué Remenabila), les coups d’arrêt I et II en 2014 – une opération a mobilisé plus de mille gendarmes et qui a causé la reddition de 2 280 dahalo –, l’opération Fahalemana en 2015 qui a permis de récupérer 1 100 bœufs volés à travers 11 régions ou encore la création d’une unité spéciale anti-dahalo en 2016. Ces actions ont contribué à la lutte contre l’insécurité dans le Sud, mais n’ont certainement pas réduit à néant le phénomène.
La population locale est divisée quant aux impacts de ces opérations. Un notable que nous avons interrogé regrette « l’inefficacité des actions menées, la cupidité de certains éléments des forces de sécurité et les coûts élevés de leur prise en charge pendant leurs missions qui pèsent lourd au fokonolona et aux victimes ». Pour une autre personne, « la multiplication de leur effectif et des moyens matériels à disposition de l’armée ou de la gendarmerie serait l’un des principaux moyens pour vaincre les dahalo ». Pour le moment, dans les villages, les populations s’adaptent, par exemple, en cachant leurs troupeaux dans la forêt la nuit, ou en mettant en place un réseau d’information. Par exemple, le village qui aperçoit en premier des éventuels cas suspects de dahalo alerte les bourgades voisines via des appels téléphoniques. Pour les observateurs, ces réseaux d’informations villageois devraient être multipliés, renforcés, sécurisés et appuyés par une police communautaire.
L’éradication des dahalo ne se réduit pas au seul apanage des forces de sécurité. Elle devrait impliquer tous les acteurs de la société, à commencer par les villageois susceptibles de subir des attaques et potentielles victimes. Néanmoins, le renforcement de l’effectif et les moyens des Forces de défense et de sécurité (FDS) assignées dans les zones concernées par cette lutte est primordial. Par la suite, il est aussi essentiel de mettre en place des dispositifs de sécurisation permettant une plus grande couverture et un déploiement plus efficace des éléments des forces de sécurité. Néanmoins, « il faudrait trouver un moyen de minimiser les éventuels complices dans leurs rangs, et de prendre en charge les coûts des missions pour les victimes sans moyens », suggère un habitant. Sur ce point, le ministère de la Justice souligne que « les institutions de l’État et la population locale doivent travailler ensemble pour identifier, hiérarchiser et résoudre les problèmes qui affectent la sécurité publique, telles que la criminalité, la peur, l’exclusion sociale et l’inégalité qui accentuent les problèmes de criminalité et entravent la possibilité d’améliorer la qualité de vie des citoyens ». Les dina, conçus avec la population locale et qui sont plus respectés que la loi, peuvent donc jouer un grand rôle, à travers la redéfinition des politiques de sécurité publique territoriales.
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