Une tempête tropicale modérée mais aux conséquences destructrices sur une ville déjà exsangue.
Ana : une tempête tropicale considérée comme modérée mais aux conséquences particulièrement destructrices sur une ville déjà exsangue. Le pire est encore à craindre à cause du changement climatique et des multiples pressions inhérentes à Antananarivo.
L’expression « les pieds dans l’eau » renvoie automatiquement à une ambiance farniente : une personne au bord de la mer, assise sur un transat et sirotant un cocktail de fruits. Pour les habitants de la zone basse d’Antananarivo, qui ont leurs pieds dans l’eau, le sens est tout autre.
Depuis quatre jours, Célestine, 32 ans, et ses trois enfants se sont réfugiés dans l’une des salles de classe de l’École primaire publique (EPP) d’Andavamamba. Normalement, à cette heure-ci, elle devrait être en train de proposer des sacs en plastique à ceux qui viennent d’acheter des ingrédients de pâtisserie au pavillon d’Analakely. Mais elle est là, accroupie sur un tas de linge aménagé sur le sol pour faire office de lit, nettoyant son bébé de trois mois avec un chiffon humide, en attendant qu’il y ait moins de personnes dans la file d’attente du service du déjeuner.
Les conditions dans ce « camp » sont rudes. À part la promiscuité et le brouhaha permanent des sinistrés, l’heure de la distribution de repas serait irrégulière. Mais Célestine a choisi d’y rester. « Nous ne pouvons plus rester chez nous, car notre maison est inondée. Cette nuit-là, nous avons à peine dormi. Il a plu des cordes pendant des heures. Je me suis levée vers minuit et j’ai constaté que l’eau entrait déjà dans la maison, raconte-t-elle. Ainsi, je ne me suis plus recouché, car j’appréhendais une montée brusque du niveau de l’eau. À 6 heures du matin, elle est montée jusqu’à mes hanches. Nous avons apporté ce que nous avons pu et nous sommes ici ». Comme Célestine, des centaines de ménages ont dû quitter leur foyer. Certains se sont réfugiés chez des parents, d’autres ont rejoint l’EPP Andavamamba.
Une fois de plus, la plaine du Betsimitatatra est inondée, telle une scène d’apocalypse aquatique. Le bilan humain et matériel est lourd. Les habitants de la Ville des Mille sont habitués à ce genre d’épisodes qui sont malheureusement appelés à se durcir dans les années à venir. Après avoir vécu de longs mois très secs avec en point d’orgue un octobre et un novembre particulièrement arides, qui ont obligé l’Exécutif à avoir recours à des pluies artificielles, les fortes précipitations ont surpris les Tananariviens. Chaque année, les habitants des zones basses, comme Andavamamba, sont habitués à la montée des eaux et s’y sont adaptés. Toutefois, celle-ci a été exceptionnelle, car même les endroits habituellement épargnés ont été submergés, faute d’entretien des canaux d’évacuation et en conséquence de l’incivisme de la population d’Antananarivo.
Le changement climatique n’est pas étranger à ces phénomènes extrêmes qui vont se multiplier. « Comme la perturbation des saisons de pluies, la hausse extrême de la température et les précipitations abondantes durant une période très courte vont survenir de plus en plus fréquemment, alerte Zo Andrianina Patrick Rakotomavo, chef du Service des recherches hydrométéorologiques, de la Direction générale de la météorologie (DGM). Par exemple, les précipitations qui devraient tomber en un mois pourraient tomber en une semaine. Et celles qui devraient tomber en une semaine tombent en une ou en deux journées seulement. Cela provoquera des inondations inévitables et incontrôlables »1. Ainsi, la tempête modérée a déversé l’équivalent d’une année de pluie sur les hauts plateaux, en deux jours. Ce qui a entraîné l’explosion de tous les seuils d’alerte.
Le changement climatique aura également un impact sur la fréquence et l’intensité des cyclones. « Avec le réchauffement, ce n’est pas seulement la surface, mais l’ensemble de la troposphère qui se réchauffe, laissant à peu près identique le profil vertical des températures, qui est le véritable catalyseur des phénomènes cycloniques », détaille Fabrice Chauvin, chercheur à Météo France2.
L’impact de l’homme sur le changement climatique est sans équivoque avec son mode de vie actuel loin d’être sain, que ce soit pour sa santé ou pour son environnement. « Nous avons essayé de réagir depuis les Conventions cadre des Nations Unies sur le changement climatique. Pourtant, lors de la dernière décennie, le monde a connu les températures les plus élevées, depuis près de deux millénaires. Ce qui affirme que nos efforts depuis ces 30 ans de prise de conscience sont insuffisants, voire vains », regrette le chef du service des recherches hydrométéorologiques.
Présentée comme le « terminus » des cyclones, la Grande île subit davantage les conséquences du changement climatique à cause d’infrastructures vétustes et d’une croissance démographique très forte. Antananarivo en est le symbole. Ce phénomène est accentué par une topographie particulière. Pour soulager sa boulimie d’espaces à bâtir et à conquérir, la capitale malgache grignote de jour en jour sur la plaine du Betsimitatatra, zone censée être tampon. Mais le phénomène ne date pas d’aujourd’hui. « Déjà au XIXe siècle, les souverains de Madagascar voyaient dans les plaines du “grenier de Betsimitatatra” une zone privilégiée d’extension d’Antananarivo. Les rizières et marais à l’ouest de la ville retiennent aussi, à partir de 1910, l’attention des urbanistes coloniaux qui veulent concrétiser dans le Betsimitatatra leurs projets de créer une ville moderne qui serait le symbole du pouvoir colonial, avec un plan géométrique respectueux des canons de l’urbanisme français ainsi que des installations modernes : gares, usines, halles, immeubles spacieux pour l’administration et les sociétés privées », notait Faranirina Esoavelomandroso.
Au fil des ans, Antananarivo s’est progressivement organisée en trois terrasses successives : la haute ville, la ville moyenne et la ville basse qui s’étend sur la plaine. Aujourd’hui, cette extension effrénée pose problème. Différentes recherches menées tendent à tirer la sonnette d’alarme et à prédire le pire. « La vulnérabilité de la ville d’Antananarivo face à l’inondation repose principalement sur les problèmes de l’occupation des sols et de la planification spatiale en milieu urbain. Antananarivo (…) constitue un territoire à risque élevé. Le système de poldérisation de la ville repose sur une plaine alluviale de 2 000 ha où le drainage gravitaire constitue un terreau favorable à l’inondation », analyse Tolojanahary Andriamitantsoa, maître de conférences au sein de la mention Géographie à l’Université d’Antananarivo.
Les inondations de janvier prouvent, une fois de plus, l’extrême vulnérabilité de la ville des Mille, « accentuée par trois cocktails explosifs : les déchets, les remblais et le manque d’infrastructures de drainage », glisse un urbaniste. Pour les habitants des quartiers touchés, les coupables tout désignés sont les promoteurs fonciers et les grands propriétaires terriens qui ne lésinent pas sur les moyens pour remblayer marais et rizières. « Cela fait des années que nous n’avons pas vécu une inondation aussi importante avec une telle rapidité. C’est à cause de remblais qui se sont multipliés ces derniers temps dans les fokontany qui entourent le nôtre », nous confie, dépité, le président du fokontany d’Ankorondrano Andrefana.
L’épineuse question du remblai est sur toutes les lèvres. Chacun rejette les responsabilités, mais au moins trois entités sont concernées : l’Autorité pour la protection contre les inondations de la plaine d’Antananarivo (Apipa) , les communes et l’administration, à travers le ministère de l’Aménagement des territoires. La problématique est épineuse, car la plaine est l’extension naturelle d’Antananarivo. « (Elle) est la partie de la ville qui a connu l’urbanisation la plus importante entre les deux périodes (qui) s’est structurée autour des pratiques de rehaussement des rizières et des zones inondables, sans que ces dernières aient été encadrées et sans que ces travaux aient fait l’objet d’investissement en termes d’assainissement (drainage facilitant l’écoulement des eaux) », poursuit Tolojanahary Andriamitantsoa. Le 25 janvier, les intempéries ont entraîné la mort de 34 personnes, près 67 000 personnes sinistrées ainsi que plus de 40 000 déplacés. Rien n’indique que les prochaines décennies seront plus clémentes. « Les habitants du globe, notamment, ceux des zones plus vulnérables – comme la Grande île – n’auront mieux à faire que de se préparer pour les années à venir »4, conseille Zo Andrianina Patrick Rakotomavo. Un avis qui sonne comme une fatalité…
Les différentes études urbaines sur Antananarivo suggèrent de « sanctuariser » des zones tampons qui jouent un rôle primordial dans la lutte contre les inondations. Cinq zones sont préconisées : la plaine de Betsimitatatra aux environs d’Anosibe et Anosizato, celle aux environs d’Andohatapenaka et Ambohimanarina, la plaine au nord de la colline d’Ambohimanarina, la plaine au nord d’Ivandry jusqu’à Androhibe et la zone comprise entre Alarobia/Ankorondrano et Andraharo. Aujourd’hui, ces quartiers sont très prisés par les promoteurs fonciers et font l’objet de remblai périodique. À moins d’un revirement incroyable, la situation est quasiment impossible à renverser, même si les épisodes climatiques remettent sur la table régulièrement les remblais à Antananarivo et ramènent cette question dans le débat public.
Le Conseil des ministres du 21 janvier a de nouveau mis l’accent sur « l’audit et le suivi des remblais s’ils ont respecté les schémas d’aménagement dans la Commune urbaine d’Antananarivo (CUA) ou dans les communes périphériques ». Aujourd’hui, les constructions illicites qui obstruent les canaux d’évacuation et fragilisent les digues de protection sont l’ un des facteurs aggravant les effets néfastes de l’inondation. « Face à cette situation, les acteurs institutionnels à différents niveaux (ministères, collectivités, organismes, services déconcentrés de l’État) sont impuissants et condamnés à agir coup sur coup. La gestion de la vulnérabilité au niveau de la plaine d’Antananarivo demeurera encore un problème non résolu », déplore Tolojanahary Andriamitantsoa, maître de conférences au sein de la mention Géographie à l’Université d’Antananarivo.
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