« Dégager des espaces budgétaires pour les investissements »
Nommée à la tête du ministère de l’Économie et des Finances en 2021, après en avoir été la secrétaire générale, Rindra Hasimbelo Rabarinirinarison a hérité d’un portefeuille stratégique en pleine tempête économique. Elle a répondu aux questions de Politikà.
Après le choc de 2020, durant lequel aucun pays n’a été épargné, comment est la santé économique de la Grande île ?
Rindra Hasimbelo Rabarinirinarison (R.H.R.) : La reprise économique s’est amorcée vers la fin de l’année 2020. Cependant, la deuxième vague de Covid-19 à Madagascar, apparue vers la fin du premier trimestre 2021, a perturbé cette reprise. Ceci dit, en 2021, les exportations des zones franches et des produits miniers ont repris. Ambatovy a, par exemple, rétabli ses activités en mars 2021. Tout au long de l’année dernière, l’incertitude liée à la Covid-19 a pesé sur les entreprises. Le maintien de la fermeture des frontières jusqu’au dernier trimestre de 2021 n’a pas manqué de retarder la reprise des activités touristiques. Néanmoins, la croissance de l’économie malgache en 2021 devrait être de 3,5%. Elle devrait s’accélérer en 2022, profitant d’une envolée de la demande mondiale et de l’accroissement progressif de la demande intérieure.
Concrètement, quelle stratégie l’État met-il actuellement en œuvre pour relancer l’économie du pays ?
R.H.R. : À part les transferts monétaires réalisés afin d’assurer à la fois une protection sociale de la population et un maintien partiel de la demande, la relance de l’économie du pays passe essentiellement par l’accélération des investissements. Les constructions d’infrastructures y afférentes permettent de stimuler la demande à court terme, tout en rendant l’offre plus flexible à moyen et long termes. Les investissements publics inscrits dans la Loi de finances initiale (LFI) 2022 compteront pour 9,2% du Produit intérieur brut (PIB). Les actions du gouvernement pour contenir la propagation du coronavirus contribuent également à lever les incertitudes des entrepreneurs et ainsi booster les investissements privés. Qui dit investissement dit croissance et création d’emplois. Ainsi, ces projets d’investissements publics de la LFI 2022 soutiendront énormément la relance économique pour Madagascar.
Justement, le projet de LFI 2022 fait mention de l’intention du gouvernement de consolider la reprise « en mobilisant les ressources nécessaires pour la concrétisation des projets d’investissements structurants répartis dans toute l’île ». Quels projets qualifie-t-on de « structurants » dans notre cas et leurs retombées économiques envisagées sont-elles actuellement chiffrées ?
R.H.R. : Les projets dits “structurant” sont ceux qui transformeront les conditions sociales et économiques qui prévalent dans notre pays. La construction de routes en fait partie. Mais il y a aussi la construction des hôpitaux, le développement de l’offre et de la couverture énergétique, la mise en place des zones industrielles, les projets de digitalisation, etc. L’inscription de ces projets dans la Loi de finances résulte d’un arbitrage fait en conseil des ministres, basé sur des données et des informations analysées par les ministères techniques porteurs des projets. L’évaluation des retombées économiques de la concrétisation de ces projets structurants fait partie des paramètres utilisés dans le calcul du taux de croissance économique, estimé à 5,4% en 2022.
Sur ce chapitre, les marchés publics constituent une source importante de contrats pour les entreprises. Or, le paiement prend souvent beaucoup de temps et compromet la trésorerie de ces entreprises. Est-ce rassurant pour ces structures alors que nous prévoyons de lancer des chantiers titanesques ?
R.H.R. : Nous sommes conscients de ce problème et justement, nous travaillons aujourd’hui sur la manière d’accélérer le paiement de ces entreprises. Il faut cependant comprendre que l’exécution des dépenses publiques suit plusieurs phases qui sont assurées par des acteurs différents (du lancement des marchés publics jusqu’à la phase de paiement au niveau du Trésor public). Pour ce dernier, les dépenses publiques sont payées par les comptables publics qui sont tenus de vérifier tous les points de contrôle prévus par les textes réglementaires en vigueur. Pour plus de célérité dans le traitement des dossiers au niveau de tous les acteurs, le ministère de l’Économie et des Finances (Mef) fait une de ses priorités la réforme de la réglementation, non seulement du texte sur les comptables publics, mais de tous les textes relatifs aux paiements des dépenses. Il faut également savoir que 70% des opérations sont traitées au niveau de la Paierie générale d’Antananarivo. Le Mef travaille actuellement sur son désengorgement à travers la création prochaine de six trésoreries interministérielles. La lenteur peut aussi être de cause humaine. Pour y remédier, les trésoreries générales qui traitent ces opérations ont bénéficié de renforcement de capacité, notamment sur l’exécution des dépenses pour qu’ils soient à la hauteur des défis du gouvernement et pour que les entreprises ne soient pas pénalisées. Pour des cas exceptionnels nécessitant des audits plus approfondis des organes de contrôle, le Trésor public ne peut procéder au paiement qu’à la suite des résultats de ces audits.
En termes de projet, des citoyens ne comprennent pas pourquoi l’État s’endette pour la mise en place du projet Transport par câble (TPC) pour Antananarivo. Que leur répondez-vous ?
R.H.R. : Ces citoyens soulèvent surtout une question de priorité. Pour eux, le TPC n’en est pas une, par rapport aux dépenses sociales. Mais ce n’est pas parce qu’on réalise un projet qu’on délaisse un autre. Le gouvernement doit assurer les dépenses sociales ainsi que celles à court terme de la population, comme il doit également assurer les investissements à long terme pour les générations futures. Vous pouvez noter que les dépenses sociales ont doublé dans la LFI 2022. Donc, en parallèle avec le TPC, beaucoup d’autres projets relatifs aux secteurs sociaux seront en marche cette année. Mais pourquoi disent-ils qu’ajouter un mode de transport urbain en sus n’est pas une priorité alors que nous constatons tous à quel point la pollution de l’environnement causée par les embouteillages dans la capitale nuit à la santé de la population ? La santé est bien une question sociale. Il suffit de faire une enquête auprès des hôpitaux des enfants pour se rendre compte de la dégradation de la santé, notamment pulmonaire, des enfants due à la pollution urbaine. Avez-vous remarqué que dans plusieurs familles habitant la capitale, des enfants présentent une fragilité pulmonaire sans précédent ? Et ce, sans parler des dépenses de carburants qui augmentent de jour en jour ainsi que du temps perdu dans les embouteillages, estimé financièrement supérieur au montant du projet TPC. Ne faut-il pas une solution ? Oui, il faut bien une solution, et en pleine ville bondée d’habitations, cette solution n’est certainement pas un nouveau transport terrestre qui nécessiterait une expropriation massive de milliers de bâtiments, ni sous-terrestre qui aura encore plus de conséquences négatives. L’extension des transports terrestres, par le train urbain ou par les fly over, par exemple, est plutôt indiquée pour les périphéries de la ville. Par conséquent, le transport par câble est le seul indiqué, si on veut à la fois préserver ces habitations en pleine ville, améliorer l’environnement incontestablement pollué de la capitale et sauver les générations futures des problèmes induits par cette pollution. Par ailleurs, le niveau d’endettement de Madagascar est loin d’être inquiétant. Nous ne sommes qu’à 36,4% du PIB, comparé aux pays en développement où le niveau d’endettement est trois fois plus élevé que cela. La Grande île fait même partie des pays qui n’osent pas encore s’endetter pour investir pour son futur. Or, nous avons besoin d’investir pour les générations futures, mais pas seulement pour gérer les quotidiens de la population.
Un prêt auprès du Trésor public français : le montage financier est inédit. Pourquoi cette approche et que cela induit-il ?
R.H.R. : Effectivement, c’est la première fois que le gouvernement malgache contracte un prêt auprès du Trésor public français, mais le choix a surtout été guidé par son offre financière plus intéressante par rapport aux autres prêteurs. Nous avons fait une comparaison des offres de financement reçues, mais celle du Trésor public était la plus raisonnable.
Vous dites que la Grande île est encore faiblement endettée. À combien s’élèvent nos dettes ?
R.H.R. : Si vous consultez le dernier bulletin statistique de la dette (n°22) qui est disponible sur le site du Trésor public, vous verrez qu’à la fin septembre 2021, l’encours de la dette publique s’élève à 5 147,8 millions de dollars, soit 20 290,2 milliards d’ariary. L’encours de la dette extérieure se chiffre à 4 033,1 millions de dollars, soit 15 896,3 milliards d’ariary, et celui de la dette intérieure à 4 393,9 milliards d’ariary à la fin septembre 2021. À ce jour, nos dettes s’élèvent à 36,4% du PIB. Ce pourcentage est encore bas comparé à celui des pays développés et des pays d’Afrique en général.
Qui sont nos principaux créanciers ?
R.H.R. : Les prêts extérieurs sont essentiellement issus des organismes multilatéraux (72,55 %) tels que le groupe de la Banque mondiale (Ida), le groupe de la Banque africaine de développement (Bad), le Fonds international de développement agricole (Fida), etc. Après eux, nos principaux créanciers sont les créanciers bilatéraux qui constituent 12,7% de la dette extérieure. La prépondérance de la part des emprunts multilatéraux est expliquée par la stratégie d’endettement adoptée par Madagascar qui prône la maximisation du recours aux emprunts extérieurs concessionnels.
Comment les remboursons-nous et jusqu’à quel seuil pouvons-nous encore nous endetter ?
R.H.R. : Le remboursement de la dette est prévu dans le budget de l’État chaque année et constitue une dépense obligatoire et prioritaire. Les paiements sont effectués conformément au calendrier de remboursement tel que défini dans les accords de prêt. Parmi les indicateurs clés d’évaluation de la situation d’endettement d’un pays, le ratio dette publique/PIB est habituellement observé. Pour Madagascar, ce ratio est de 36,4% à la fin septembre 2021. Ce qui est largement inférieur aux seuils fixés dans le cadre des critères de convergence macroéconomique de l’Union européenne (60%), de la Southern african development Community (SADC) (60%), et de l’Union africaine (65% maximum). Dans la zone économique de l’Afrique subsaharienne, à laquelle Madagascar appartient, ce ratio est de 66% en moyenne. La Grande île n’a jamais eu du mal à honorer ses services de la dette. Et le plafonnement est celui fixé dans le cadre de notre programme avec le Fonds monétaire international (FMI), s’élevant à 800 millions de dollars pour la première période du programme.
Toujours selon le projet de LFI 2022, « en 2022, le rythme de la croissance économique devrait s’accélérer pour atteindre +5,4%, grâce à la normalisation de la situation sanitaire, la réouverture des frontières, l’engagement stratégique du Gouvernement dans les investissements structurants et le retour de la confiance des acteurs économiques. » Pourriez-vous nous expliquer plus concrètement les actions gouvernementales qui permettront d’atteindre cet objectif de croissance ?
R.H.R. : Le gouvernement entend renforcer ses efforts pour démarrer et boucler les chantiers d’infrastructures dans toute la Grande île. Il s’inscrit dans une approche “transformationnelle” qui permet de stimuler la croissance sur le court terme et de la consolider sur les moyen et long termes. Par exemple, le chantier du pipeline dans le Sud développera les activités économiques de la région et fera vivre les familles participant à sa construction ou travaillant pour la société en charge du chantier. Une fois le pipeline achevé, l’amélioration de l’accès à l’eau permettra le développement d’activités économiques dans la région, ce qui aboutira à son essor. Il en sera de même pour tous les projets. D’ailleurs, l’existence de projets répartis dans toutes les régions de l’île augmentera l’effet d’entraînement et l’effet multiplicateur pour une croissance économique relativement plus dynamique. Par ailleurs, les infrastructures qui seront construites, par exemple les routes, bénéficieront aussi aux acteurs du secteur privé dont la confiance reviendra progressivement avec la maîtrise de la situation sanitaire et la perception des effets des relances, tant au niveau national qu’un niveau international. Nous pouvons également parler des centrales hybrides qui amélioreront l’offre énergétique. L’appui au secteur touristique dans le cadre de la reprise des activités figure aussi dans les actions prioritaires du gouvernement pour atteindre l’objectif de croissance.
Nos recettes publiques actuelles permettent-elles de réaliser cet objectif d’investissements publics à hauteur de 9,2% du PIB ?
R.H.R. : Nous avons un déficit du solde primaire de 0,9% par rapport au PIB, dû au fait que les recettes ne peuvent pas couvrir les dépenses. Il n’est pas évident de concilier la nécessité d’augmenter les recettes internes ou d’améliorer le taux de pression fiscale et celle d’accompagner les entreprises locales durant la relance économique. Pour 2022, la LFI prévoit une recette interne fiscale de 4 219,2 milliards d’ariary et une recette douanière de 3 063,2 milliards d’ariary. L’atteinte de ces objectifs est basée non seulement sur les mesures législatives que vous voyez dans la LFI 2022, mais aussi et surtout sur des mesures administratives telles que la digitalisation, les assainissements du secteur… Dans tous les cas, un pays qui veut se développer se doit de dégager des espaces budgétaires pour la réalisation de ses investissements. C’est une condition de sa croissance.
Depuis quelques mois, la monnaie locale se déprécie lentement, mais sûrement. Comment rehausser sa valeur ?
R.H.R. : Nous avons réitéré à plusieurs reprises que la perte de la valeur de l’ariary est due à diverses raisons auxquelles il faut s’attaquer pour rehausser sa valeur. L’une des principales est le non-rapatriement des devises issues des exportations, qui est pourtant une obligation légale imposée par le code de change à Madagascar. Ce non-rapatriement pèse automatiquement sur la valeur de l’ariary. En sus de cette obligation de rapatriement, les réglementations en vigueur imposent la cession sur le Marché interbancaire des devises (Mid) d’au moins 70% des recettes d’exportation rapatriées. La non-cession de ces devises constitue une autre raison de la perte des valeurs de l’ariary. En 2021, 391 millions de devises sont retenues dans des comptes bancaires et non cédées sur le Mid. Le Mef a saisi le Pôle anti-corruption (Pac) sur ces infractions de change et à ce jour, des sanctions ont déjà été prononcées. Le partage d’informations sur ces sanctions se fera publiquement après la présentation du rapport y afférent en conseil des ministres. Un projet de décret a déjà été soumis et sera resoumis, après correction, en conseil de gouvernement pour préciser les modalités de vente de devises sur le Mid. Le code de change, quant à lui, fait également l’objet d’une réforme par un projet de loi qui attend d’être inscrit en ordre du jour du conseil des ministres.
Sachant que le projet de LFI prévoit que les investissements privés devraient atteindre 16,6% du PIB en 2022, l’environnement actuel des affaires est-il propice à une relance des investissements privés ?
R.H.R. : La pandémie de Covid-19 a fait peser un climat d’incertitudes qui a bridé, voire stoppé les investissements privés. La probabilité de survenue de nouvelles vagues alimente cette incertitude. Néanmoins, on constate un retour de la confiance, tant sur le plan international que national. La remontée des cours des matières premières, les plans de relance des grandes puissances, les investissements des entreprises au niveau mondial (notamment en faveur de la transition énergétique) … sont autant de signaux pointant vers un décollage des investissements. À Madagascar, le gouvernement avance également dans l’amélioration de l’environnement économique afin de booster les investissements privés. L’ouverture récente de l’aéroport international d’Ivato, le lancement de la seconde phase de l’extension du port de Toamasina, la signature des accords pour la construction de la centrale hydroélectrique de Sahofika ainsi que le lancement des travaux pour la centrale Mandraka 3 concourent tous pour l’amélioration de l’environnement des affaires. De plus, le secteur privé reprend déjà ses investissements. Par exemple, la société Star vient d’inaugurer une nouvelle usine à Ambatolampy. Les entreprises Ciel et Socota vont mettre en place une usine de filature pour développer le secteur textile à Madagascar. Les opérateurs intervenant dans l’exploitation de graphite à Madagascar sont en train d’investir pour étendre leurs activités et prévoient même la construction d’une usine de composantes pour batterie. Par ailleurs, la nouvelle usine de sucrerie est en phase de construction. Ce sont des faits qui nous font dire que l’environnement stimule progressivement les investissements.
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